
Cagole de la Presqu'île
Ligne 31, un dimanche, il fait très beau, il fait très bon, il fait très loin...j'aurai dû arriver à la presqu'île d'Ambès il y a déjà 18 minutes mais j'ai été passablement retardée par moult péripéties routières finalement habituelles mais terriblement agaçantes. Surtout que j'ai érigé la ponctualité en vertu cardinale depuis ma plus tendre enfance et que depuis que je fais ce métier je me rends bien compte que « les temps » sont difficiles « à tenir ». On ne tient rien sauf le volant ! Arrivant de loin, je m'offre une « servitude » une fois arrivée au terminus. Cette « servitude » signifie que je m'arrête, que j'informe le PC avec une commande secrète que je vais m'absenter du poste de conduite pour soulager un besoin naturel...puis je repars, évidemment encore plus en retard.
C'est amusant comme les usagers nous avoinent facilement dès qu'il y a un retard...comme si nous enfilions des perles sur un collier pour tuer le temps. Nous avons pourtant tellement d'exigence dans notre métier qu'arriver à l'heure est notre rêve le plus doux.
J'arrive à un arrêt où il y a une bonne dizaine de personnes. Ça fait vraiment bizarre à cet endroit là, un dimanche, un arrêt isolé face à la Garonne (ou la Dordogne...j'hésite toujours un peu), ça va en faire des fragrances qui vont se mélanger... Parmi ces gens une jeune femme tellement maquillée qu'on dirait qu'elle est plus vieille que moi, habillée tellement court que "courant d'air" est son second prénom, elle a l'air énervée. Intérieurement je me demande si elle va sentir le monoï ou la noix de coco. Elle monte la première et essaie de me clasher devant tout le monde en mode « ni bonjour ni merde » : "C'est normal queul' bus i soit en retard d'1/4 d'heure ?".
Comment vous dire que je m'y attendais à celle là...j'imagine la scène avant mon arrivée : ma cagole se chauffant toute seule devant les autres comme si elle allait avoir une cape lui pousser dans le dos et que son initiative allait venger toute une année de retards.
Là...un râle venu du tréfonds des enfers sort de ma bouche. Je baisse mes lunettes pour la regarder droit dans les yeux :
"Rhaaaaaallez donc vous asseoir…" en lui montrant les sièges disponibles au fond.
Les autres derrière qui attendaient se sont pliés en deux de rire, ils n'en pouvaient plus. Moi non plus. Elle n'a pas moufté, tous les autres m'ont saluée et m'ont dit combien ils étaient contents que je sois là.
J'ai ris mais j'ai ris...intérieurement.
Et puis j'ai respiré...ça sentait les fruits de la passion.