Croûte

Ligne 1, joli matin de printemps, les vacances s'étirent en longueur. Une dame brune d'un certain âge s'installe à l'avant près de moi. Elle commente la circulation.

Pour ma part, je suis fascinée par la couleur auburn de ses cheveux, tellement scintillants qu'ils en sont suspects. Son coiffeur-coloriste-visagiste a du talent.

Je lui conseille de s'asseoir dès qu'on passera l'arrêt "Palais de Justice", des sièges vont se libérer. Ses mocassins-bateau ne suffisent pas à lui donner le pied marin et vu l'état de la chaussée, notre esquif tangue. Elle me remercie, visiblement ce nouveau poste de vigie lui convient parfaitement puisqu'elle reprend ses commentaires sur le trajet, les obstacles, les gens, les trous, les travaux, les livreurs mal garés, ce travail qui doit être dur...

- Quand même, il en faut du courage pour faire ce que vous faites ; moi, même plus jeune je ne pourrai pas...

- Oh ça va, ça se fait quand même...

- Non mais ça a l'air compliqué. Et puis tout ces gens, ce bruit, cette odeur...

- Non non mais ça va...

- (elle sépare bien les syllabes) Je-ne-pou-rrai-pas ! Entourée d'hommes comme ça...

- Nan mais ça va, ils sont sympas les collègues. Et les clients pas corrects je les remet à leur place. Ça va, ça va...

Elle voudrait que j'entre en dépression qu'elle ne s'y prendrait pas autrement. Elle a mis en route l'escalator vers le sous-sol de ma bonne humeur naturelle. Elle se lève, on sent qu'elle a un paquet à déposer avant de partir :

- Mais vous ne pourriez pas faire autre chose comme travail ?

Je l'attendais celle-là, je respire...et je réponds :

- Vous savez, quand il s'agit de croûter, on fait moins la fine bouche. Et puis j'ai deux enfants.

Elle se glace.

- Ah oui ? Oh...les pauvres !

Et elle descend, comme ça, sur ce final mou et décevant. Je m'attendais à mieux...

« Lorsqu'une croûte se forme il ne faut pas chercher à l'enlever mais la ramollir pour qu'elle tombe d'elle-même ». passeportsante.net