Demi-Portion

07/12/2023

Ligne 31, c'est le soir, il fait nuit, il pleut...tout pour plaire. Je n'ai qu'un passager avec moi depuis un bon moment, il est tranquille et moi aussi. J'écoute ma radio en sourdine. Les nouvelles sont tristes…

Dans la pénombre, à un arrêt, un individu me fait signe. Son corps est agité de soubresauts et il parle fort. Il se colle à la talanquère et me demande un titre de transport. Un horrifique fumet exhale de ce monsieur, on dirait qu'on fête à nouveau Halloween en direct du cimetière juste après une mise en bière.

Il cherche frénétiquement ses sous. Toujours agité de spasmes. Il parle fort : « toutes des putes »…

Je lui propose d'allumer la lumière du poste de conduite pendant qu'il cherche ses sous. Il se fige et dans un 180° artistique il se retourne, collant son dos à la talanquère et donc à moi. Il peste à très haute voix :

- Putain ! Y en a partout putain !

Il se re-retourne. Parle fort. Essaie de me sourire, c'est un échec.

Il m'explique que « c'est toutes des putes », qu'il y en a trop, que moi ça ne compte pas parce que j'ai les cheveux courts et que je sais conduire ce bus. Donc que je suis une « demi-pute »... (Mmmm concept intéressant ! )

Il règle son titre de transport, je lui indique comment le valider et qu'il peut aller s'asseoir. Donc il va s'asseoir (Mmmm joli sens de la persuasion).

Il reste très agité, physiquement et dans ses paroles. Je ne peux pas le regarder car je conduis mais le son qui me parviens ressemble peu ou prou à la bande-son de l'Exorciste, lorsque la petite fille habitée par Le Malin parle avec plusieurs voix superposées et qu'elle dit des horreurs.

Finalement il migre au fond du bus, j'en profite pour discrètement contacter la Sécurité. D'autant qu'en plusieurs arrêts du monde est monté dont plusieurs femmes à qui j'ai demandé systématiquement de s'installer à l'avant. Elles ont rapidement compris pourquoi…

Le voyage s'est terminé pour lui et moi à la Gare Saint-Jean. En partant j'ai regardé une passagère inquiète :

- Rassurez-vous, ça va aller.

La collègue qui me relevait la regarde en souriant et lui dit d'une voix douce :

- Ma collègue a fait tout ce qu'il fallait, ça va aller :-)

Merci aux gars de la Sécurité qui ont proprement fait sortir l'importun, m'ont accompagnée à mon vélo car je débauchais tout en gardant un œil sur « lui » ET qui m'ont escortée à moto jusqu'en bas de la rue pour que je rentre chez moi l'esprit tranquille.