Elégance
Ligne 1, c'est l'après-midi, l'heure est creuse comme une dent cariée. Normal : c'est le confinement numéro 2. Il fait encore chaud et beau, le soleil de l'été indien darde ses rayons sur notre route. Une dame toute fluette, vêtue d'un tailleur Chanel bleu outremer monte dans mon bus et reste debout près du poste de conduite. Elle ne se tient pas malgré les soubresauts, elle tire des deux mains sur les élastiques de son masque chirurgical apposé délicatement sur son visage. Je la vois dans mon rétroviseur intérieur : elle tangue. Arrivés à Mériadeck je profite de l'arrêt pour lui demander si elle va bien et l'encourage à s'asseoir : il y a de la place ! Elle refuse poliment, ses yeux roulant dans leurs orbites.
« Vous êtes sûre ??? » Elle décline à nouveau. Nous repartons. Elle me demande si elle peut descendre du bus par devant au prochain arrêt ?
« Bien sûr Madame ! » J'abaisse le bus, elle tient toujours son masque des deux mains en tirant les élastiques. Elle tâtonne, elle est descendue. OUF !
Le lendemain, rebelote ! Même arrêt, même horaire. J'insiste pour qu'elle s'asseoit mais non, elle préfère rester debout en tenant son masque. Je m'assure qu'elle va bien : on dirait un faon qui vient de naître...
Le surlendemain, re-rebelote ! Je ne tiens plus. Arrivée à son arrêt je lui demande : « Madame, vous êtes sûre que ça va ? Vous habitez loin ? » Elle m'assure que oui et là, moment suspendu depuis le trottoir : elle retire son masque et me montre son sourire im-pe-cca-ble-ment peint d'un rouge éclatant. Ses dents telles des perles de culture dans un écrin.
Comme quoi, la classe, c'est intemporel, même par temps de Covid.
NB : -58% sur les ventes de rouges à lèvres, en ligne, en avril 2020 par rapport à avril 2019 (source NPD Group)